L’activité en prévention spécialisée : du concept à l’action

Dans cet article, Benjamin Le Doz, chef de service de la Prévention Spécialisée, partage sa réflexion sur le rôle essentiel de l’activité dans la création du lien éducatif. À travers son regard et l’exemple concret du chantier éducatif de la Ressourcerie de Taverny, il nous invite à redécouvrir l’activité comme un véritable outil d’expression, d’engagement et de rencontre.

L’activité en prévention spécialisée : Prendre soin du lien, en artisan

Les activités en Prévention spécialisée

En prévention spécialisée, nous accompagnons des jeunes qui, souvent, n’attendent plus rien des institutions classiques. Dans ce contexte, le lien ne se décrète pas. Il se construit patiemment, à travers des moments de vie partagés. L’activité commune devient alors un espace pour renouer:

  Une sortie,  Un chantier,   Un jeu,   Un séjour,   Une balade,   Un repas,   Une discussion en bas d’un immeuble

Assumer pleinement l’activité comme outil éducatif

Certains travailleurs sociaux peuvent redouter d’être dépossédés de leur mission ou de leur statut face à une activité partagée qu’ils estiment parfois moins sérieuse. Cette opposition ancienne et regrettable, entre « faire jouer » et « faire grandir », s’enracine dans une fracture historique entre animation socioculturelle et travail social. Alimentée par des logiques institutionnelles et politiques locales, cette peur peut conduire à sous-estimer la richesse de l’activité partagée.

Nous encourageons chaque éducateur à formuler des intentions éducatives à partir de ce qu’il vit avec les jeunes, en transmettant quelque chose de soi : une passion, un savoir-faire. 

Cheminement

C’est dans cette action partagée que les jeunes commencent à se livrer. Surgissent alors les confidences, les demandes, les frustrations, les colères. C’est là que naissent les suivis individualisés, que s’amorcent des démarches, des soins, des projets.

L’activité est souvent le point de départ d’un cheminement : elle crée la confiance, favorise l’engagement, déplace les représentations mutuelles. Elle maintient un lien dans les moments de tension, quand la parole ne suffit plus. 

Sans temps partagé, nous risquons de rester dans l’abstraction, dans une évaluation désincarnée, juste dans le dispositif. Avec lui, la relation s’enracine, plus souvent joyeuse, où chacun peut réinventer sa manière d’être en lien.

Des activités qui relient, plutôt que normer

Confiance mutuelleNotre posture « d’aller vers », sans cadre d’adhésion formelle, peut désarçonner dans certains territoires. Elle interroge des normes, où les actions s’inscrivent dans des dispositifs précis : lieux fixes, horaires établis, publics ciblés. Nos activités éducatives, souvent mobiles, spontanées, peuvent paraître floues. Et pourtant, c’est dans cette souplesse que notre travail prend sens. Humblement, nous tentons de jouer l’interface, des espaces de respiration entre les cadres existants. Ces activités ne cherchent pas à substituer, mais à relier : les jeunes aux institutions, l’informel au formel, les besoins aux réponses possibles.

Cela suppose une confiance mutuelle et une croyance en l’intelligence collective du territoire. Chaque acteur y a sa place, sa légitimité. Même si les logiques de rationalisation poussent à compartimenter les réponses possibles selon les besoins des gens, nous restons convaincus que ce sont des pratiques transversales, ancrées dans des activités simples mais signifiantes, qui peuvent encore agir là où les normes ne suffisent plus.

Laisser des zones floues pour mieux habiter les marges

La légitimité de l’activité en prévention spécialisée tient à son intention de rencontre ; elle doit rester un sujet vivant, mais vouloir la définir une fois pour toutes serait l’appauvrir.

Il nous faut peut-être accepter collectivement des zones de flou, des espaces d’incertitude. Notre métier exige cette plasticité. 

Être éducateur spécialisé en prévention, c’est souvent accepter de sortir partiellement du cadre, pour rejoindre ceux qui n’y entrent plus. C’est prendre le risque du contre-emploi, pour habiter les marges et y faire émerger du possible.

Assumer l’activité comme outil central de notre pratique, c’est défendre une forme d’artisanat éducatif, délicat mais essentiel. Pour que les jeunes, notamment ceux vivant les situations les plus complexes, se donnent le droit de se réautoriser à faire société

La Ressourcerie : une activité éducative authentique, entre lien social et engagement de proximité


Le chantier éducatif de la Ressourcerie, porté par l’équipe de Taverny, est depuis plusieurs années un exemple fort de ce que peut représenter l’activité en prévention spécialisée : un cadre souple mais porteur de sens, où l’on prend le temps de construire, avec les jeunes, une relation éducative par l’action partagée.

La ressourcerie

 

Grâce au soutien des bailleurs sociaux (I3F, CDC Habitat), de la prise en charge administrative de l’association intermédiaire Tremplin, de la municipalité de Taverny, et en lien avec les associations partenaires mobilisées pour les collectes, ce projet de printemps 2025, étalé sur plusieurs semaines, mobilise quatre jeunes pour rejoindre les habitants des quartiers Sarments, Les Pins et Jean Bouin sur la question du réemploi et de l’éco-responsabilité. 

À travers les échanges avec les habitants, les prises de parole lors des portes à portes, les ateliers de collecte ou les ventes solidaires, les jeunes réexpérimentent la notion d’engagement, gagnent en confiance et en compétences.

Ce type de projet convoque la place des jeunes tout en invitant le territoire à s’y mobiliser. Nous cherchons à proposer des actions authentiques, enracinées dans l’environnement direct des jeunes, et à mettre en valeur leur capacité à agir. Dans ces moments simples mais sincères, nous cherchons à construire une relation éducative durable, attentive aux réalités locales.

Benjamin LEDOZ, Chef de service, Prévention spécialisée
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